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Apprendre à construire le nombre au cycle 2

Publication : par Nathalie Belliard

Circonscription de Sannois
C. BERDONNEAU Conférence Pédagogique
11 avril 2012

compte rendu de la conférencede C. Berdonneau

 

Apprendre à construire le nombre au cycle 2

"Les mathématiques ont commencé le jour où l’on s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose de commun entre un couple de faisans et une paire de claques" (d’après B. RUSSELL Introduction to mathematical philosophy, 1919, chap. 1)
 

Bien qu’il ne constitue qu’un des quatre piliers du socle commun de connaissances et de compétences, le domaine numérique reste une préoccupation majeure des enseignants de l’école primaire, et la construction du nombre par les élèves est scrutée lors de l’interprétation des évaluations, à tous les niveaux. En cycle 2, les apprentissages concernant le nombre sont particulièrement abondants et variés, et ont connu de multiples évolutions pédagogiques et didactiques depuis un siècle et demi, alors que les contenus mathématiques n’ont pas évolué depuis des décennies sur ce domaine dont l’axiomatisation est actuellement achevée (les axiomatisations de l’ensemble des entiers naturels datent du XIXème siècle ; dans l’histoire des mathématiques, la détermination de la nature des nombres est un acquis très postérieur à leur utilisation, et pour les entiers naturels, le statut d’entier naturel de 1 et de 0 est un acquis relativement récent).

Les mathématiques constituent une discipline cumulative, où il n’est guère possible d’avancer sans
prendre appui sur des acquis (tant de contenu que de méthode) des classes précédentes, et une discipline de raisonnement -et non de mémorisation-. Un enseignement spiralaire apporte une réponse partielle aux lenteurs d’apprentissage mais ne résout pas tous les problèmes : les statistiques semblent montrer une insuffisante compréhension de la numération par les élèves. Face à des problèmes pour lesquels il n’y a pas une sollicitation explicite, la mobilisation de compétences à ce propos s’avère difficile pour beaucoup d’entre eux, alors qu’il est probable qu’ils disposent des micro-compétences et peuvent les exprimer quand elles sont sollicitées explicitement (comme le font généralement les exercices des manuels et des fiches). Après un bref rappel des connaissances actuelles sur les compétences protonumériques et sur les compétences construites en maternelle, nous soulignerons les propriétés les plus importantes de la numération, en illustrant par quelques exemples de pratiques.

I – Les compétences protonumériques
De nombreuses recherches (psychologie cognitive, neuropsychologie, sciences cognitives), en France comme dans bien d’autres pays, ont établi que l’être humain dispose, bien avant l’âge de la maternelle, de premières compétences à caractère numérique, non-verbales et probablement analogiques, sans doute similaires à la perception qu’ont les animaux des quantités discrètes et ont identifié les circuits cérébraux spécifiques (« câblage neuronal ») qui en rendent compte. L’espèce humaine s’avère donc « douée » pour les apprentissages mathématiques ; pourtant, force est de reconnaître que, dès les premières années de scolarité, tous les élèves ne parviennent pas à accéder à la compréhension des faits numériques les plus élémentaires.
Il semble actuellement acquis également que l’être humain dispose de facultés d’abstraction, qui se mettent en place en prenant appui sur un point de départ concret. La médiation d’un pédagogue semble, sinon indispensable, du moins facteur notable d’accélération de l’apprentissage.

 


II - L’entrée dans le numérique en P.S.
Parmi les compétences protonumériques acquises avant l’entrée en maternelle, le jeune enfant dispose d’une intuition arithmétique, qui lui permet de comparer qualitativement des quantités, c’est-à-dire de se rendre compte si deux situations (très simples) sont numériquement équivalentes.

En revanche, distinguer l’unicité de la pluralité suppose une triple prise de conscience :
•la quantité peut être appréhendée de manière qualitative (estimation), ce qui suffit pour résoudre bien des problèmes pratiques mais elle doit aussi être appréhendée de manière quantitative, ce qui est souvent indispensable ne serait-ce que dans le cadre scolaire ;
•la quantité peut être discrète (et dans ce cas « unité » n’est pas synonyme de « élément ») ou continue
•le nombre, mesure de la quantité, est la propriété d’un ensemble, et non de ses éléments.
Le travail de l’enseignant porte plus sur l’aspect méta-cognitif de l’apprentissage que sur une transmission ostensive de savoir-faire (apporter, répartir) : l’opposition « un-plusieurs » ne se montre pas.
Elle concerne la conceptualisation d’une propriété d’ensemble, et chez l’animal comme chez le très jeune enfant cette numérosité est perçue, pour les très petites quantités, de manière analogique (nonsymbolique).
Ceci n’est pas nécessairement contradictoire avec la remarque d’H. FREUDENTHAL (cité par exemple par ERMEL) « En aucune façon l’enfant ne constitue le nombre comme classe d’ensembles équivalents, même inconsciemment. Le fait d’insister sur cette invariance par bijection est une attitude de mathématicien adulte qui ne peut pas oublier sa propre théorie des nombres ».
L’un des rôles essentiels du langage serait probablement de favoriser la démarche d’abstraction en facilitant (par exemple par des activités d’anticipation, de commande à autrui) une prise de distance par rapport aux éléments concrets sur lesquels on peut agir ; un passage trop rapide au codage, à la symbolisation semble l’une des causes des difficultés observées, l’élève tentant de s’adapter à un formalisme qui lui est imposé au lieu de construire lui-même la modélisation (identification des analogies
entre des situations perceptivement différentes) qui va lui assurer une compréhension en profondeur.

 


III – Compétences construites en maternelle
Quatre compétences essentielles sont construites en maternelle :

 la mémorisation de la suite des noms de nombres (qui évolue au cours des trois années, tant par la longueur de la suite mémorisée que par l’habileté à la réciter et à l’exploiter)

 l’énumération d’une collection (structuration qui permet de la parcourir d’une façon ordonnée et contrôlée, transformation d’un tas en file donc construction de deux sous-collections évolutives)

 le dénombrement (ne pas supposer acquis « le nombre comme mémoire de la quantité »)

 la reconnaissance de différentes représentations des nombres (principalement analogiques ou symboliques -codes visuels-, mais aussi dénomination -code verbal-).


Concernant le dénombrement, l’enfant a à •s’approprier plusieurs procédures de dénombrement -nous laissons de côté l’estimation, dont la fiabilité est trop incertaine- : deux font l’objet d’un travail explicite dans les classes maternelles (la subitisation – perception globale, en une seule prise d’information, et indépendante de la disposition des éléments– possible uniquement pour de très petites collections dont les éléments sont « suffisamment mais pas trop » proches dans l’espace, et le comptinage) et une autre, plus fréquemment utilisée par l’adulte (partition de la collections à dénombrer en sous-collections, dénombrement de chaque sous-collection, et calcul additif) est acquise ultérieurement, sans enseignement explicite clairement identifiable ; •se rendre compte que certaines transformations d’une collection (déplacement de la collection,
déplacement des éléments de la collection les uns par rapport aux autres), comme certains changements dans le processus de dénombrement, laissent le nombre invariant, alors que d’autres le modifient ;
•apprendre à nommer les nombres (symbolisation qui permet communication et manipulation, code
verbal –son absence n’empêche pas la construction du nombre–).

IV - L’entrée dans la numération en C.P.
L’importance d’activités de distribution et de partage, dès la maternelle, est mentionnée explicitement tant dans le programme de 2002
que dans le programme de 2008.

Pour des tâches de comparaison, d’égalisation, de distribution, de partage, [l’élève] fait appel à une estimation perceptive et globale (plus,
moins, pareil, beaucoup, pas beaucoup), plus tard à la correspondance terme à terme ou à la quantification. » […] « problèmes où les
nombres peuvent être utilisés pour anticiper le résultat d’une action sur des quantités (augmentation, diminution, réunion, distribution,
partage) […]. La résolution des problèmes rencontrés ne nécessite pas le recours au formalisme mathématique (+, –, =). Celui-ci sera
introduit à l’école élémentaire.

 

Les situations proposées aux plus jeunes enfants (distributions, comparaisons, appariements...) les conduisent à dépasser une approche
perceptive globale des collections. […] problèmes posés par l’enseignant de comparaison, d’augmentation, de réunion, de distribution, de
partage. […] À la fin de l’école maternelle, les problèmes constituent une première entrée dans l’univers du calcul mais c’est le cours
préparatoire qui installera le symbolisme (signes des opérations, signe “égal”) et les techniques.

Dans le programme de 2002 « résoudre des problèmes portant sur les quantités (augmentation, diminution, réunion, distribution, partage) en utilisant les nombres connus, sans recourir aux opérations usuelles » est une compétence considérée comme devant être acquise en fin d’école maternelle. De manière plus succincte, le programme de 2008 formule « résoudre des problèmes portant sur les quantités ». L’approche de la division euclidienne commence, de manière intuitive mais conceptuelle, bien avant le cycle 3 : le principe de division euclidienne est fondamental pour la numération. Il ne s’agit évidemment pas de prendre appui sur ses aspects techniques (la disposition en potence, même si elle a déjà été pratiquée en G.S., ne peut au mieux à cet âge être autre chose qu’un dispositif de présentation de résultats déterminés par un calcul ou une manipulation n’y ayant aucun recours). Il s’agit en revanche de pratiquer à de multiples reprises et dans des contextes variés

 le groupement maximal en paquets ayant tous la même taille,

 le dénombrement de ces paquets (ce qui est loin d’être naturel pour des élèves de six ans), pour constater que, si l’on a bien réalisé le plus possible de paquets, le nombre d’éléments non regroupés est moindre que la taille d’un paquet.
Ceci s’avère crucial, dès le C.P., pour comparer les entiers (et vaut aussi en cycle 3 pour la comparaison des décimaux).
Comprendre la numération écrite décimale de position suppose aussi de conceptualiser l’unité, c’est-àdire d’accepter de considérer que des groupes d’objets peuvent à leur tout être considérés comme des unités … d’un autre ordre. Le travail avec une grande diversité de supports de types différents (analogiques, semi-analogiques, semi-symbolique ou symbolique) facilite la conceptualisation en favorisant des oralisations variées (fagot de dix bûchettes, bracelet de dix trombones, barre de dix cubes, qui sont des substantifs bien plus familiers –parce que portant sur des objets qui ont été effectivement manipulés– que dizaine, groupe des dix, tas de dix ou paquet de dix –qui font référence à des unités abstraites–) et permet à l’enseignant d’observer si l’élève est capable d’effectuer des transferts en passant d’un support à l’autre. L’élève se trouve confronté, au cours du cycle 2, à la reconstitution de l’évolution historique des instruments de codage de quantités (jetons, abaques à zones, …).
Il ne semble pas certain qu’une verbalisation artificielle calquée sur certaines numérations orales extrêmeorientales telles que « (…) dix et un, dix et deux, dix et trois (…) dix et huit, dix et neuf, deux dix, deux dix et un, deux dix et deux, deux dix et trois (…) deux dix et huit, deux dix et neuf, trois dix, trois dix et un, trois dix et deux,... » ou d’autres similaires facilitent l’apprentissage pour l’élève. Dans l’entre-deux
guerres, le Recteur Albert Châtelet avait formulé des réflexions sur l’apprentissage des débuts de la numération qui ont été reprises dans les Instructions Officielles de 1945 :

Les noms des nombres présentent, comme l’on sait, des anomalies ; il peut être avantageux d’employer d’abord les noms qui seraient
logiques :
dix-un, au lieu de onze ; dix-deux au lieu de douze ; ................... dix-six, au lieu de seize.
De même utiliser septante, octante et nonante au lieu de soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Des leçons complémentaires de vocabulaire feront ensuite correspondre à ces noms théoriques les noms de notre français courant.

L’abandon de cette préconisation peut laisser penser que les avantages escomptés n’ont pas paru flagrants en dépit d’une expérimentation à grande échelle (les textes officiels de 1945 ont été en vigueur pendant plus de deux décennies). Les travaux récents de psychologie cognitive ne semblent pas r’ouvrir le débat sur ce point.
En revanche, l’importance des échanges semble nettement plus fructueuse. Assurée jadis par de nombreux exercices oraux de conversions entre unités, en particulier du système métrique, elle est beaucoup moins naturelle aujourd’hui [combien de dizaines dans quarante -CP-, dans trois cents -CE1-, combien faut-il enlever de dizaines à soixante pour qu’il reste deux dizaines, combien de tiers dans quatre

 CM-], surtout si les élèves n’ont pas une expérience extra-scolaire d’une telle pratique par des échanges de billes, cartes de jeu, monnaie… On peut considérer qu’il s’agit pour l’élève de passer d’une lecture sur objets à une manipulation de symboles [au sens conceptuel et non au sens formel : si le concept n’a pas été construit, le formalisme n’est pas une aide à la compréhension]. La conceptualisation d’unités d’ordres différents permet en particulier d’unifier les procédures de multiplication/division par dix, cent,
mille qu’il s’agisse d’entiers ou de décimaux qui relèvent d’un même raisonnement sur la numération et de « conversions » -modifications de certaines écritures par changement d’unité- (trop souvent les « tableaux de numération » -modernes avatars de l’abaque à apices de Gerbert- n’apportent aucune aide à la compréhension mais permettent simplement un contournement d’apprentissage).
« Rien, logiquement, ne distingue les nombres décimaux des nombres entiers » affirmaient les instructions relatives au nouveau plan d’études des écoles primaires élémentaires du 20 juin 1923. Du strict point de vue de la numération cette affirmation est loin d’être stupide.

 


V - Les essentiels de la numération en Cycle 2
On peut peut-être ramener à trois les compétences incontournables concernant la numération en Cycle 2 :

 partage équitable maximal (et savoir que dans la collection ainsi organisée, le nombre d’éléments non regroupés est moindre que le nombre d’éléments dans chaque « tas » : les différentes étapes du « jeu du banquier » tel que détaillé sur TFM y contribuent)

 récursivité du processus de choix d’une unité à un ordre arbitraire (le « taux de change » est constant, et chaque « groupement » peut être considéré comme une unité)

 position d’un nombre dans son environnement numérique (à la fois par rapport à prédécesseur, successeur -et le lien avec l’ajout ou le retrait d’une unité-, mais aussi par rapport à dizaines/unités, dizaines encadrantes, représentation spatiale sur diverses lignes graduées, …)
Le recours à des représentations matérielles variées, analogiques ou non, permet d’illustrer de diverses manières une même valeur. Choisir tel ou tel type de représentation, en fonction du calcul à effectuer (par exemple recourir aux « jetons de Nain Jaune » pour trouver un double ou une moitié) aide à donner du sens à la compétence « connaître la valeur de chaque chiffre en fonction de leur position dans l’écriture du nombre (unité, dizaine) », bien plus que de remplir des tableaux indiquant pour tel ou tel nombre le « chiffre des … » ou le « nombre de … ».
En conclusion, les « automatismes » attendus ne sont ni le résultat d’un conditionnement ni des produits fournis par des automates en réponse à une entrée de données, mais des raisonnements très simples ayant valeur de méthode, maintes fois répétés jusqu’à devenir suffisamment familiers pour pouvoir être exécutés en tâche de fond, libérant l’attention au profit d’activités plus complexes.

 


• Références
Programme d’enseignement de l’école primaire, B.O. n° 3 Hors-Série, 19 juin 2008
Ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, Direction de l’enseignement scolaire : « Vers les mathématiques,
quel travail en maternelle ? » ; Document d’accompagnement (2005)
BACQUET M., GUERITTE-HESS B. Le nombre et la numération, pratique de rééducation, Éditions du Papyrus (1996)
BERDONNEAU C. : Aider les élèves en difficulté en mathématiques en C.P.-C.E.1, Hachette (tome 1, 2006, tome 2, 2007)
BRIAND J. et al. Enseigner l’énumération en Moyenne Section, revue Grand N n° 66, pp. 7-22 (1999-2000) http://www-irem.ujfgrenoble.
fr/revues/revue_n/fic/66/66n2.pdf
CERQUETTI-ABERKANE F., MARILLIER M.-C. Progression du jeu du banquier pour comprendre la dizaine en CP et en CE1 et Pour
comprendre la dizaine : le jeu du banquier http://www.uvp5.univ-paris5.fr/TFM/AC/RubFaLst.asp?CleFiche=P05-1&sRubFa=005
DEHAENE S. Psychologie cognitive expérimentale : les fondements cognitifs de l’arithmétique élémentaire (2008)
http://www.college-de-france.fr/media/psy_cog/UPL22033_dehaene_res0708.pdf
DEHAENE S. La bosse des maths, Odile Jacob (2010)
DURPAIRE J.-L. et al. : Le nombre au cycle 2 Scéren (2010), coll. ressources pour faire la classe,
http://media.eduscol.education.fr/file/ecole/00/3/Le_nombre_au_cycle_2_153003.pdf
MARGOLINAS C. et al. Le cas de l’énumération de la maternelle... au lycée Bulletin de l’APMEP n° 471, pp. 483-496 (2007)

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